Cette pipe "grotesque" n'est
pas à proprement parler une pipe en terre puisqu'elle
a été fabriquée à partir de divers matériaux...
dont un foyer de pipe en terre cuite blanche !
Il ne s'agit pourtant pas d'une création
unique réalisée en un seul exemplaire ; nous
avons en effet déjà rencontré une autre pétunoire
de ce type, traitant du même sujet.
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Pipe artisanale "le troupier",
technique mixte (pipe en terre, papier mâché)
France, fin du XIXe - début du XXe siècle
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Une création à rapprocher probablement
du personnage du "comique troupier" !
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A partir d'une pipe en terre cuite dont il a conservé le
foyer et une partie du tuyau, ce génial
bricoleur a réalisé en papier mâché le
portrait caricatural d'un troupier moustachu et barbu.
L'embout est quant à lui réalisé à
partir d'un simple fume-cigarette en
corne.
Ajoutée postérieurement, une
bague en argent ciselé, complète cette pipe
artisanale.
Ce portrait est à notre avis
à rapprocher du personnage du "comique troupier",
très en vogue dans les caf'-conc', à la fin du XIXème
et durant le premier tiers du siècle suivant.
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Le genre "comique troupier",
qu'on date généralement de 1876-1877, date
de la création d'une chanson de Tréfeu et de Graziani,
"L'invalide à la tête de bois".
Il est l'invention du chanteur comique
Eloi Ouvrard, plus connu sous le nom d'Ouvrard père,
son fils Gaston se distinguant également dans ce même
genre
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"La Pipe à Tonton"
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"Quelle bonne pipe je vais fumer !" :
affranchissement du 3 septembre 1906
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Son succès et son influence
furent énormes à la fin du XIXème siècle
; il créa en effet plus de 800 chansons (Le Bi du
Bout du Banc (1882), Ah ! la pauvre fille ! (1893), La fille du
Rémouleur (1899)... ) !
Le " troupier " était
ce personnage naïf, simple soldat (encore appelé "
tourlourou " ou " piou piou " à l'époque),
vêtu de l'uniforme bicolore d'avant la Grande Guerre,
en pantalon rouge garance avec basanes, à la veste bleue
aux épaulettes rouges et au képi rouge et bleu ! En
fonction des goûts des chanteurs comiques du moment, cet "accoutrement
" était toujours trop grand ou trop court !
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"Le troupier" (n° 223 des catalogues
de 1868
et de 1880 de la manufacture Gambier de Givet)
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"Pioupiou grotesque" (n° 646 du
second catalogue de la manufacture
Gisclon de Lille : circa 1865-1875)
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Cet uniforme de l'infanterie de ligne
française, au pantalon et au képi rouge vif teint
à la garance (obtenu à partir du rhizome de
la plante du même nom), n'allait pas tarder à devenir
célèbre en 1914
Véritables cibles vivantes...
et voyantes pour les tirs meurtriers de l'infanterie et de l'artillerie
allemandes, les fantassins français allèrent ainsi
au "casse-pipes" jusqu'en avril 1915, date du remplacement
de ce costume bicolore, magnifique pour la parade mais dangereux
pour le combat, par l'uniforme bleu horizon !
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Ainsi affublé, le comique troupier
exerçait son talent dans les salles de café-concert
chantant les joies simples du soldat du rang : la solde,
la nostalgie du pays, les sorties du dimanche, les épisodes
de la vie de garnison mais également les marches épuisantes
!
Quiproquos et malentendus, ordres mal
compris et petites blagues entre conscrits constituaient
les ressorts comiques de ces récits parlés ou chantés.
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Confectionnée en papier mâché,
cette tête de pipe cache en fait un foyer de
pipe fantaisie en terre cuite de couleur blanche !
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Tête et yeux en papier
mâché, dents en carton...
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La grivoiserie était bien entendu
parfois présente dans ces récits : officier
que l'on fait cocu, aventure d'un moment à l'occasion d'une
"perm"
D'autres artistes succédèrent
à Ouvrard père.
Pierre-Paul Marsalés, dit Polin
(1863-1927), comique troupier par excellence de l'époque,
était ainsi surnommé " le premier tourlourou
de France ".
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Le style de Polin (on parle du "genre
Polin") était unique et à l'opposé des
autres "troupiers" qui traversaient la scène
de long en large.
Lui se tenait immobile, débitant
lentement ses chansons, avec pour seul
accessoire un mouchoir à carreaux rouge derrière
lequel il aimait se cacher !
Ses succès : "La
caissière du grand café", "Le p'tit objet",
"La petite Tonkinoise", "La boiteuse du régiment",
"La balance automatique" ...
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Longueur : 21 cm
Hauteur de la tête : 8 cm
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Le "genre Polin" fera de nombreux
émules, dont les plus célèbres seront Charles,
Joseph Pasquier dit Bach (1882-1953), et surtout Jules Muraine dit
Raimu (1883-1946) ou Fernand Contandin, plus connu sous le nom de
scène de Fernandel (1903-1971). Ces deux monstres
du cinéma français ont en effet tous deux commencé
leur carrière en s'essayant à ce genre comique désormais
oublié...
Sources :
Catalogue Gambier, 1868
Catalogue Gisclon, 1865-1875
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