Cette pipe en terre à l'effigie
d'un tirailleur sénégalais est
l'oeuvre de Marcel, André Bouraine (1886 - 1948), l'une des
très grandes figures du mouvement Art Déco en France.
Il est à ce titre l'un des sculpteurs les plus collectionnés
de cette période.
Né en 1886 à Pontoise
(Seine-et-Oise), il fut l'élève de Jean, Alexandre,
Joseph Falguière qui réintroduisit et développa
le réalisme dans la sculpture du XIXème siècle.
Mobilisé durant la Première
Guerre mondiale, Bouraine fut capturé puis semble t-il échangé
et interné en Suisse où il collabora à
la réalisation de plusieurs monuments.
Il exposa au début des années
20 dans de prestigieux salons (le Salon de la Société
des Artistes Français, le Salon des Artistes Indépendants,
le Salon des Tuileries et le Salon d'Automne).
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Tirailleur sénégalais
(6.5 cm de haut),
rare création du sculpteur
Marcel Bouraine
Biot, France,
circa 1939 - 1945
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Les initiales M.B., visibles
sur le côté droit de la douille
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Très actif de 1920 à
1935, Bouraine excellait dans la sculpture de nus féminins,
d'amazones athlétiques, la plupart du temps coulées
en bronze patiné marron, parfois rehaussé de vert
ou de touches cuivrées.
Il associait également l'ivoire
au bronze, sculptait sur marbre ou modelait sur terra cotta.
Clowns, arlequins et pierrots constituaient également ses
principales sources d'inspiration.
Durant la Seconde Guerre mondiale,
son activité se réduisant, Bouraine qui était
installé à Biot dans les Alpes-Maritimes, réalisa
des portraits de militaires sous forme de têtes de pipe en
terre.
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Il les commercialisa ou les fit commercialiser sous
la marque "OPTIM".
Nous connaissons trois de ces personnages
au visage souriant, signés de ses initiales "MB"
:
notre tirailleur sénégalais (ou plus précisément
un tirailleur africain, le corps des tirailleurs sénégalais
disparaissant après la Première Guerre),
un chasseur alpin
et un marin.
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Deux autres créations pipières
de
Bouraine : un chasseur alpin et un marin
(croquis d'après photographie du
catalogue de la vente Coutau-Bégarie)
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La pipe avant nettoyage...
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Aujourd'hui très recherchées,
car apparemment peu fabriquées, ces pipes auraient été
"vendues au profit des soldats durant la guerre".
Nous avons relevé cette mention
sur une note manuscrite de la main du Colonel Joseph Pouliquen
(grande figure de l'aviation, créateur du groupe de chasse
Normandie-Niemen) qui accompagnait un lot de ces modèles
vendus à Drouot en 2003 et provenant de sa collection.
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Marcel Bouraine créa également
en 1941 une tête de pipe à l'effigie du Maréchal Pétain,
peu courante, sans toutefois être d'une grande rareté.
Cette création porte également la marque "OPTIM"
ainsi que sa signature en creux sous la douille. La marque M.B.
n'est pas présente sur ce modèle du "Héros
de Verdun".
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La marque "OPTIM" sur le
côté gauche de la douille
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A tort ou à raison, les
collectionneurs de pipes en terre se plaisent à souligner
que cette représentation du "Chef de l'Etat Français"
fut à l'origine de la cessation d'activité de notre
artiste à la Libération...
Créé en 1857 par Louis
Faidherbe, gouverneur général de l'Afrique de l'Ouest
Française (A.O.F.), le corps des tirailleurs sénégalais
permettait de palier à l'insuffisance des effectifs en provenance
de métropole. Dans les premiers
temps, ces combattants indigènes étaient recrutés
dans la population des esclaves affranchis rachetés
par les Français à leurs maîtres africains.
Leurs effectifs furent progressivement renforcés d'apports
de prisonniers de guerre et de volontaires, pour finalement s'ouvrir
aux classes dirigeantes traditionnelles africaines qui intégrèrent
ce corps comme sous-officiers. Les tirailleurs
n'étaient pas tous sénégalais puisqu'ils venaient
de l'ensemble des colonies françaises d'Afrique où
ils étaient cantonnés dans un premier temps dans des
missions de police. A la veille de la Première Guerre mondiale,
ils commençèrent à être déployés
en dehors de l'Afrique Noire. Ils furent engagés sur le Front
dès le début des combats, 30.000 y moururent.
Récemment, la commémoration
du 60ème anniversaire des débarquements alliés
et de la Libération, a permis de rappeler l'engagement des
tirailleurs africains, et plus largement des goumiers, des
tirailleurs ou des spahis, originaires du Maghreb ou d'Afrique Noire
formant les "troupes coloniales", dans la Seconde Guerre
mondiale. Hommage public leur a enfin
été rendu ! D'autres, comme mon grand-père
maternel André Conte, officier tirailleur, l'avaient déjà
fait. Il aimait rappeler dans notre cadre familial, toujours
avec beaucoup de pudeur, le rôle joué par "ses
tirailleurs", notamment dans les durs combats de Monte Cassino,
du débarquement de Provence le 15 août 1944 et des
campagnes d'Alsace ou de "Rhin-Danube"...
Sources :
JEAN-LEO, Les pipes en terre françaises,
du 17ème siècle à nos jours, Le Grenier
du Collectionneur, Bruxelles, 1971
RAPHAEL Maurice, La pipe en terre
- son périple à travers la France, Editions
Aztec, Vitrolles, 1991
samedi 26 avril 2003, Espace Tajan
, Importante collection de pipes anciennes, Tajan (expert
Bernard Mamy)
samedi 24 mai 2003, Drouot-Richelieu,
Tabacologie (Collections de M. F... et à divers amateurs),
Olivier COUTAU-BEGARIE, Commissaire-Priseur (expert Arnaud Thomasson)
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